Bienvenue dans ce format histoires vraies.
Dans ces emails, j'ai vous raconte des récits de femmes.
Lorsqu'on constate que nos histoires se ressemblent, ça nous fait sentir plus normales, moins seules, unies.
Savoir que d'autres ont vécu la même chose crée de l'empathie.
D’ailleurs, on est souvent plus sympa avec les autres qu'avec nous-même.
Dans ces emails, je t'invite à te poser la question : te traites-tu aussi bien que tu traiterais les actrices de ces histoires ?
Dans les prochaines lignes, je parle du premier avortement que j'ai vécu en 2018.
Et, ce que je retiens de cette expérience.
📣 Si le sujet est sensible pour toi ou que tu n'as pas envie de partager ce moment, je t'invite à t'arrêter ici. Je ne t’en voudrai pas. Je parle de plein d’autres choses dans les prochains emails.
On est parties !
Je suis fière d'avoir été assez forte et lucide sur la vie que je voulais réellement. Je suis aussi heureuse d'avoir eu le choix.
La douleur, c'était principalement les non-dits, le mauvais suivi, les jugements et les critiques.
Ma plus grosse claque
Dès mon premier jour de retard de règle, j'ai su que j'étais enceinte. Je m'en doutais.
J'étais à l'autre bout du monde. Littéralement.
Le genre d'endroit où il n'y pas de pharmacie accessible. Rien que pour avoir un test de grossesse, c'était déjà une épreuve.
Il fallait que j'informe au minimum deux personnes du problème.
Et, l'une des deux était ma mère.
Soit, la dernière personne que j'aurais mise au courant si j'avais été à Paris.
Je repense à toutes ces fois où j’ai eu un coup de stress.
Le pire que j'ai eu à surmonter c'était de prendre un Uber à minuit, un dimanche soir, pour trouver la pharmacie de garde.
Temps estimé : inférieur à 30 minutes, pause pipi comprise.
Ici, il faut faire une heure de voiture. Et, ça implique de trouver un taxi, de demander, d'expliquer...
J’ai envie de me téléporter en France.
J'explore tout internet à la recherche des symptômes qui collent…ou pas.
4 jours de retard.
Je dois me confronter à la réalité. J’entame ma quête pour trouver mon test de grossesse.
Un moment je pisse sur un bâton, l'instant d'après, je me vois donner le biberon.
C'est comme un flash qui m'arrive alors que je suis au-dessus des toilettes du restaurant.
Le genre de WC avec une énorme ouverture en haut et en bas des cloisons.
Je ne pensais pas que je ressentirais une émotion.
Direction le gynécologue.
Je suis toujours à-l'autre-bout-du-monde.
J'ai dû parler à 4 personnes pour réussir à voir un médecin.
Je déteste devoir parler à des gens que je ne connais pas. C'est très désagréable. Surtout à ce degrés d’intimité.
Arrive le moment où on me confirme que je suis enceinte. Elle m'a fait deux tests urinaires pour le confirmer.
Rien que je ne savais déjà.
Quand je lui demande les options pour avorter sur place, j'ai eu la réponse que j'attendais le moins :
Abortion is forbidden here.
L'avortement est interdit ici.
La France, et la non délivrance
Il a fallu attendre 10 jours pour rentrer à Paris.
Je prends enfin RDV chez la gynéco. Elle me suit depuis longtemps. Elle m'explique que si je veux avorter, il y a deux options : l'aspiration ou les médicaments.
Le sujet à l'air banal pour elle.
En 15 minutes c’est expédié.
De mon côté j'ai du mal à comprendre les avantages et les inconvénients des deux. Je n’ai pas assez d’informations pour décider. Je retourne demander à Google qui me semble être la source la plus fournie.
Mais pas que.
Je lis des dizaines de témoignages de femmes qui ont avorté. J'y trouve 1,000 fois plus de réconfort qu'avec n'importe qui.
Je découvre un espace de sororité incroyable.
Les émotions : la honte, la détermination, le soulagement, tout y passe. Enfin, on se parle. Oui, c’est un forum doctissimo, les informations médicales ne sont pas fiables, mais, on PARLE put***
Les détails sont trash : du sang, des embryons qui tombent dans la cuvette, des capotes qui craquent, des nausées, des comptages de cycles menstruels, tout y passe. Il n’y a pas de filtres.
Et, je m’en fiche.
C’est la même différence entre les règles qu’on montre avec du liquide bleu à la TV et ce qu’on vit vraiment. Oui, c’est le même principe mais, on a tout atténué.
Lorsque je lis ces femmes, je ne me sens pas effrayée.
Au contraire, je constate que chaque expérience est différente. Je peux me projeter dans différents scénarii. Je me sens plus en plus normale.
D’un point de vue médical, je me penche sur des sites officiels :
Je comprends que l’avantage des médicaments c’est que tu fais ça de chez toi, pas besoin d'aller à l'hôpital. Et, surtout, tu ne subis pas d'anesthésie. Par contre, le délai pour y avoir recours est seulement de 7 semaines.
Avec l'aspiration tu as moins de "sensations". En gros, on t'endort et c'est terminé. Par contre, faut aller dans un hôpital et accepter d'être endormie.
Je suis les instructions :
Prise de sang
Echographie
Nous sommes à Paris en plein mois d'aout. 3/4 des gens sont partis. Tout est fermé.
Le seul rendez-vous d'échographie que j’ai trouvé est loin.
Je vois quelque chose.
On me fait entendre le coeur.
Je m'en serai passé.
Apparemment, je ne suis pas la seule.
Quand tu crois que c'est fini
La procédure c'est : un cachet devant la gynécologue + le deuxième 48 heures ensuite.
Elle me renvoie chez moi avec mon comprimé.
Aucune instruction particulière.
Lorsque j'en ai parlé, j'ai vaguement compris que ça ferait mal.
Encore une fois, je vais chercher dans l'endroit le plus fourni d'informations : internet.
Le jour J.
4 heures de contractions, beaucoup de sang et du vomi. C'était douloureux, mais pas tant que ça en fait.
Après ce jour, j'ai eu mal pendant 1 mois et demi. Je saignais tous les jours.
Les médecins m'ont dit que c'était normal "vous avez avorté madame"
C’était avant de comprendre le vrai pourquoi.
Le moment où j’ai perdu confiance dans les médecins
Le médicament que ma gynéco m'a donné a été retiré car il était détourné de son usage premier.
94 % des comprimés de cytotec vendus en France sont utilisés dans la prise en charge des IVG médicamenteuses, des fausses couches et des déclenchements d'accouchements.
Sauf qu’à l’origine c'est un médicament conçu pour traiter les ulcères.
Il ne dispose pas d'attestation de mise sur le marché pour les IVG.
Une fois que j'avais compris ce qui clochait, j'ai demandé à un autre médecin qui m'a confirmé que le cytotec n'est pas fait pour l'avortement à la base.
Ce moment est celui où j'ai perdu confiance dans la prise en charge de mes problèmes gynécologiques.
Si j'avais eu mal aussi longtemps, c'était que j'avais pris un médicament qui n'était pas fait pour ça (même s’il est largement utilisé).
Je me suis demandé 1,000 fois comment c'était possible.
Je n'ai jamais osé confronter ma gynécologue. Je pensais que le problème venait de moi.
Preuve que non, lors de mon second avortement, autre médicament, aucun soucis !
L’avortement est un parcours encore semé d'embuches
Il existe un paradoxe autours de l’avortement.
D’une part, le sujet politique revient souvent sur la table. Nous sommes fières de la loi Veil. On discute de l’allongement.
D’autre part, dès qu’on sort de l’enjeu politique ou médical, le sujet est peu abordé. Au travail, entre amis, dans des diners. On ne parle pas d’avortement.
Le droit d'avorter n'est pas universel
Le premier frein à la libération de la parole autour de l’avortement c’est qu’il est encore admis que l’IVG soit interdite dans certains pays.
La gynéco sur place m'avait dit qu'il existait des moyens illégaux d'avorter dans le pays. Des pilules vendues sous le manteau.
Dans ma tête, j'ai eu un flash des aiguilles à tricoter utilisées par manque de choix.
Je me suis évidemment demandé ce que j'aurais fait si j'étais née là-bas.
J'ai réalisé à quel point c'est difficile d'imaginer les choses quand elles aussi loin de notre réalité. Je suis née en France, j'ai grandi ici.
Dans ma tête, un monde où je n'aurais pas ce choix était inexistant.
Lorsque j'était là-bas, je ne rêvais que d'un chose : retrouver la France. Je me suis sentie heureuse, chanceuse et privilégiée.
Les étapes obligatoires
Mais, même en France, on ne peut pas avorter du jour au lendemain. Il faut au minimum :
Une première consultation gynéco qui vous informe des options et du déroulement,
Une prise de sang pour vérifier que vous êtes bien enceinte. Le taux de l'hormone bêta-HCG est un indicateur du démarrage de la grossesse,
Une échographie pour localiser la grossesse. Elle sert aussi à dater la fécondation et à écarter les grossesses extra-utérines.
Même si les conditions ont déjà largement évolué : Jusqu’en 2016, les femmes devaient attendre 1 semaine pour respecter un “délai de réflexion” avant de décider.
Concrètement, tous ces rendez-vous prennent du temps. C’est compliqué de le faire en moins d’une semaine.
Le système médical au ralenti
Nous étions en plein mois d'août lorsque j’ai voulu avorter.
Tout Paris était en vacances.
Je me suis dit que dans une autre ville ça aurait probablement été pire.
En réalité, il existe encore de nombreux territoires Français où l’accès à l’IVG est difficile.
Par ailleurs, au cours des quinze dernières années, le nombre d'établissements réalisant une activité d'IVG a diminué de 22 %.
Ce que j'aurais aimé avoir
J'ai eu le sentiment que ces examens, m'ont ralentie. J'avais en main chaque résultat. Ils me faisaient réaliser ce qui se passait concrètement dans mon ventre.
J'ai eu l'impression que ce périple était là pour me rappeler que je ne faisais pas un acte anodin.
J'aurais aimé que cela se passe comme dans ce que j'imaginais lorsque j'étais sur la plage à l'autre bout du monde : "tu arrives, on te prend en charge rapidement pour les examens, infos etc… Tu peux décider dans la foulée et repartir"
Le temps s’est étiré.
Des soignants spécialisés
Il est d’une grande aide de savoir que les généralistes, les sages-femmes, les gynécologues peuvent tous prescrire les médicaments d’IVG.
En ce qui me concerne, ma gynécologue n'était pas à jour sur ce qu'elle m'a donné.
Il est fort probable qu'elle ait manqué d'informations concernant les effets négatifs du cytotec.
Autre évènement traumatisant : avoir entendu le coeur.
Genre VRAIMENT ? Il était obligé de faire ça ? (spoiler : non !)
Bref, je pense que rien de tout ça ne serait arrivé avec un personnel dédié et formé.
Moins de silence
J'ai tout de suite été très à l'aise à parler de ma première grossesse non-désirée. Avec mes amis et au travail. Je ne voyais pas en quoi c'était un secret.
J'ai alors vu le voile se lever. Il y avait tellement de femmes qui étaient passées par là.
Avec le recul, c'est logique.
1 femme sur 3 avorte au moins une fois dans sa vie.
C'est énorme.
J'aurais aimé avoir ce chiffre plus tôt.
Tout aux long de ces semaines, je me suis informée sur internet.
C'est de loin le meilleur endroit que j’ai trouvé :
Des informations fiables dans les publications scientifiques ou les sites officiels. Si je m'étais fiée uniquement à ma gynécologue, je n'aurais pas compris 90% de ce qui se passait dans mon corps.
Par exemple, c'est sur internet que j'ai compris que les deux pillules d'avortement avaient une fonction différente : la première, l'arrêt de la division cellulaire. Et, la deuxième l'expulsion avec la déclenchement des contractions.
Des retours d'expériences . Souvent, les sites médicaux ont des explications trop vagues. Comme s'il ne fallait pas rentrer dans les détails.
Je sais que beaucoup de gens n'aiment pas chercher d’information sur internet par peur des intox. Personnellement, je n’aurais pas aussi bien vécu ce moment si je n’avais pas passé plus de 2 heures par jour à lire pour palier le manque d’accompagnement.
Conclusion
Avoir voulu avorter dans un pays où c’est interdit m’a mis une claque énorme.
J’ai été confronté au fait que ce n’est pas un acquis. Malheureusement.
Je me suis sentie chanceuse. En France, on peut avorter légalement.
En revanche j’avais complètement idéalisé le parcours. Les conditions sont encore loin d’être optimales.
Je ne me sens pas traumatisée d’avoir avorté mais, je ne m’attendais pas à un tel combat.
Puisque l’avortement concerne 30% d’entre nous, c’est en racontant nos galères qu’on pourra faire évoluer les choses pour celles qui suivront.
On arrive à la fin de cette histoire vraie.
J’ai mis plus de 30 heures à écrire cet article.
Pour plusieurs raisons :
Au début, c’était beaucoup trop long. J’ai réécrit et supprimé 50%. Je garde le reste pour un deuxième contenu.
Je voulais aller au delà d’un retour d’expérience et vous partager mes apprentissages.
Il y a toujours de la peur lorsqu’on publie son histoire.
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À bientôt avec le :D
Bravo Nina ! C'était un article vraiment génial !
Merci et bravo Nina, notamment pour cet article. J’ai hâte de lire les prochains.